Israël est-il vraiment le paradis des surdoué-es ?

Interview d’Hanna David, universitaire israélienne spécialisée dans le domaine des surdoués pour lequel elle a consacré sa carrière et publié plusieurs articles et ouvrages.

02/16/2024 – 23 min read

En 2016, une revue suisse avait sollicité Hanna David pour un article sur les différentes terminologies en usage pour désigner les HPI/Surdoués, ce qui a donné naissance à un opuscule francophone bref mais passionnant intitulé « Haut potentiel », « douance » ou « précocité » : est-ce un sujet linguistique ? ». Intensément podcast podcast a eu l’idée de prolonger la réflexion avec Hannah David, et d’en profiter pour comparer sa longue expérience (depuis les années 60!) des surdoués en Israël avec nos préjugés prévalant sur cette question. À noter pour les plus anglophones d’entre vous Hanna David vient tout juste de publier un nouvel ouvrage intitulé « Gifted Children and Adolescents Through the Lens of Neuropsychology ».
Une rencontre inspirante et passionnante qui s’est faite en anglais, il s’agit donc d’une traduction de ses propos par moi-même, Raff, assisté de Chat Gpt, ou l’inverse.

Comment en êtes-vous venu à vous intéresser aux HPI?

J’ai travaillé en tant que conseiller pour les enfants et les jeunes surdoués, intelligents et créatifs, ainsi que pour leurs familles, depuis de nombreuses décennies. Quand j’étais encore très jeune, je souhaitais devenir la Marie Curie israélienne. Son histoire de vie m’attirait : je voulais être comme elle, une scientifique de premier plan – la meilleure façon possible de vivre sa vie, le chemin le plus précieux, accessible à seulement quelques-uns, et contribuer à l’humanité.

À une époque où il y avait peu de femmes dans les sciences, elle était pour moi un modèle de réussite. En tant que deuxième enfant d’une famille de survivants de l’Holocauste, vivant dans un appartement de deux chambres avec mes parents et mes trois frères et sœurs, je me sentais proche d’elle. Elle était une étrangère en France, pauvre, une immigrante polonaise qui avait « réussi » malgré de nombreuses difficultés. Grâce à elle, j’ai compris que tout était possible ; je devais juste être assez forte, suivre mon cœur et travailler dur.

Je me suis intéressé à la douance tout jeune, mais comme le Monsieur Jourdain de Molière (dans Le Bourgeois gentilhomme), qui « […] il y a plus de quarante ans que je dis de la prose, sans que j’en susse rien », je ne savais pas que c’était la douance qui m’intéressait pendant environ les trente premières années de ma vie. Depuis l’âge de 11 ans, j’ai passé chaque après-midi à m’occuper de mon jeune frère surdoué, que j’ai nourri à la fois cognitivement et émotionnellement. Et en effet, il a commencé à lire à l’âge de 3 ans et a obtenu son diplôme de l’école secondaire yeshiva à l’âge de 16 ans (voir : David, 2020).

Quand j’étais un peu plus âgé, j’ai préparé des enfants ultra-orthodoxes de 8e année, qui avaient à peine reçu une éducation dans les matières laïques, en mathématiques et en anglais afin qu’ils réussissent les examens d’entrée pour leur école secondaire yeshiva préférée (ibid). J’ai également enseigné les mathématiques à des enfants ultra-orthodoxes qui souhaitaient poursuivre leurs études formelles dans une yeshiva, où aucune mathématique n’était enseignée ; dans un cas, le père, un rabbin bien connu, a participé à mes classes de tutorat avec ses deux fils (David, 2012).

J’ai entendu parler pour la première fois du concept de QI à l’âge de 14 ans, pendant ma première année de lycée, lorsque mon professeur de physique américain a déclaré un jour : « La moyenne du QI dans cette classe est d’environ 130 ; comment se fait-il que la plupart d’entre vous aient échoué à l’examen ? »

La première fois que j’ai entendu le terme « douance » était quelques années plus tard, au début des années 70, alors que je poursuivais mes études de physique et de mathématiques à l’Université hébraïque de Jérusalem, j’ai également commencé à m’intéresser aux études sur la douance. J’ai rencontré une fille de l’un des quartiers les plus pauvres de Jérusalem et un garçon qui était le fils d’un ambassadeur israélien. La fille avait mon âge – les filles des milieu ultra-orthodoxes étaient souvent exemptées du service militaire obligatoire à l’époque ; le garçon était plus jeune d’un an : ayant vécu en Amérique du Sud, il avait sauté une classe et était donc trop jeune pour être appelé sous les drapeaux. Lorsque j’ai réalisé qu’ils avaient fréquenté la même école secondaire, je me suis demandé comment ils ne se connaissaient pas, et on m’a expliqué que bien que le garçon ait assisté à la classe « régulière », la fille était dans la « classe d’intégration ». C’était un terme trompeur pour désigner la classe spéciale pour les élèves à haut potentiel issus de milieux défavorisés. Mais ces élèves, bien que qualifiés de « surdoués » par le ministère de l’éducation, n’étaient pas acceptés socialement par les autres ; le terme « surdoué » était perçu par les élèves « réguliers » comme un surnom péjoratif pour les « non-Ashkénazes qui étaient assez intelligents pour réussir les examens du baccalauréat malgré leurs familles peu éduquées et pauvres ».

Au milieu des années 70, de retour de New York, où j’avais rencontré des collègues qui avaient participé, enfants, à des programmes pour surdoués, j’ai commencé à travailler à l’Université de Tel-Aviv. À cette époque, les trois personnes les plus influentes dans le domaine de la douance étaient soit des membres du personnel du département d’éducation de l’UTA (les regrettés professeurs Roberta Milgram et Avner Ziv) soit du campus d’études d’ingénierie et de technologie (2023) (feu le Dr Erika Landau qui y avait fondé « l’Institut pour la promotion de la créativité et de l’excellence chez les jeunes »). Ces trois grandes personnalités m’ont aidée à commencer ma formation formelle en éducation des doués et en psychologie des doués. Entre 2003 et 2006, j’ai travaillé à l’Institut Erika Landau (2023) en tant que chercheuse principale, j’ai écrit beaucoup de mes travaux à partir de l’énorme base de données que l’institut offrait et j’ai co-écrit quelques études supplémentaires avec Erika.

Mais les racines de mon intérêt pour les enfants surdoués remontent beaucoup plus tôt ; ma connexion à la douance a commencé dans les années 50, lorsque j’avais un an et que je pleurais et hurlais tous les matins lorsque mon frère de deux ans partait pour la garderie. Je refusais de rester à la maison quand il partait, car je n’étais pas autorisé à le rejoindre. J’ai tellement pleuré que nos voisins ont menacé d’appeler les services sociaux, alors mes parents n’ont eu d’autre choix que de supplier l’enseignante de m’accepter aussi. Lorsqu’elle l’a fait, ils m’ont enfin acheté des chaussures : en Israël, septembre est encore très chaud, donc à 13 mois, je marchais pieds nus jusqu’alors. La légende familiale raconte que lorsque j’ai aimé les chaussures qui m’ont été offertes dans le magasin, j’ai dit : « elles ne sont pas du tout serrées » (en hébreu, c’est une phrase de 4 mots). C’était ma première victoire : depuis lors, je suis devenu de plus en plus persévérant et je n’ai jamais laissé un « non » m’empêcher de réessayer.

Comment en êtes vous venu à réaliser cet article sur les terminologies « surdouée » pour une revue Suisse?

En juin 2016, le Dr Claude-Emmanuelle Centlivres Challet de l’Université de Lausanne m’a contacté pour me demander si j’étais prêt à contribuer à un article pour le numéro spécial sur la douance de la Revue économique et sociale, qu’elle était en train d’éditer. Sans réfléchir, j’ai répondu « oui ». Quelques jours plus tard, j’ai réalisé que, en fait, elle me demandait de partager mon expérience israélienne avec les chercheurs, les éducateurs, les psychologues et les parents francophones, suisses et autres, alors que j’avais en tête un article philologique, historique et éducatif qui comparerait le système d’éducation pour les surdoués dans de nombreuses cultures et sociétés à la lumière de la terminologie utilisée là-bas. J’ai présenté mon dilemme au Dr Emmanuelle Centlivres Challet, et elle a suggéré que j’écrive les deux articles : Diagnostic et enseignement pour les enfants hp : l’exemple d’Israël (David, 2016a) et « Haut potentiel », « douance » ou « précocité » : est-ce un sujet linguistique ? ( Liens en fin d’article)

Y a t-il le meme questionnement concernant les termes en usages en Israël ?

Concernant les termes hébreux pour « surdoué » et « surdouance » ; environ 20 % des enfants de l’école primaire qui passent les « examens de surdouance » en 3ème année sont arabes et passent la version arabe des « examens de surdouance ».

En hébreu, il n’y a pas de débat ni même de question sur l’utilisation de « Mechonan » [=surdoué] ou « Mechonanut » [=surdouance], probablement parce que presque tous les professionnels, sans parler des parents, croient que ces termes sont absolus, c’est-à-dire qu’un enfant est surdoué ou non, et la seule autorité qui décide de cette question est le Ministère de l’Éducation.

Il y a beaucoup de cours préparatoires pour les enfants de 7 ans afin de « réussir » les « examens de surdouance » ; le fait que ces tests ne soient ni valides ni fiables n’a aucune importance pour les parents qui « veulent que leurs enfants soient surdoués ».

Dans ma ville natale, Rishon Leziyon, il y a un magnifique bâtiment pour les cours de programme d’enrichissement ; son nom est : « École pour les surdoués, nommée d’après feu Ron Vardi » . De nombreux parents qui recherchent mes services de conseil commencent leur appel téléphonique par la phrase : « Je suis [le nom], père de [nom], surdoué de 8 ans », ou « Je suis [nom], mère de [nom], qui n’est pas encore surdoué à l’âge de 7 ans » – signifiant que l’enfant n’a pas encore passé l' »examen de surdouance » administré par le Ministère de l’Éducation, et donc il ou elle ne peut pas encore être surdoué !

Certains autres parents, dont les enfants n’avaient pas « réussi les examens de surdouance », présentent leur enfant en me disant « Elle n’est pas surdouée », même si elle est une excellente pianiste, championne d’échecs ou peintre créative à l’âge de 9 ans…

Comment la terminologie utilisée pour décrire les personnes surdouées a-t-elle évolué au fil des ans ?

La terminologie utilisée pour décrire les personnes surdouées a évolué au fil des ans principalement pour des raisons sociologiques ou éducatives, mais aussi pour des raisons financières. Jusqu’au début du 20ème siècle, « surdoué » n’était pas fréquemment utilisé, mais l’adjectif « doué » était donné, principalement à des adultes jeunes ou d’âge moyen qui avaient excellé dans un domaine, une discipline, un champ ou un domaine particulier. Cela pouvait être l’art, par exemple, la musique, la peinture, l’écriture, la danse ou la sculpture ; cela pouvait être n’importe quelle matière cognitive, telle que les mathématiques, la chimie, l’histoire ou la linguistique/philologie.

Le label « doué » était donné à de grands politiciens (par exemple Bernstein, 2015), mais ce n’était pas toujours pour leurs réalisations politiques. Par exemple, Winston Churchill avait mérité le label « doué » en raison de ses caractéristiques exceptionnelement complèxes : […] Un journaliste doué, un biographe et historien aux proportions classiques, un peintre amateur de talent, un orateur d’une rare puissance, un soldat de courage et de distinction, Churchill, selon toutes les normes, était un homme d’une rare polyvalence (Encyclopédie Britannica, 2023).

Il est intéressant de noter que le professeur Frederick A. Lindemann, le savant en physique d’Oxford, a également été étiqueté comme « doué » grace à sa relation avec Churchill : Churchill a persisté à argumenter en faveur de la prise au sérieux de la menace allemande et de la nécessité d’empêcher la Luftwaffe d’obtenir la parité avec la Royal Air Force. Dans ce domaine, il était soutenu par un petit groupe de partisans dévoués, en particulier le doué et bougon professeur de physique d’Oxford Frederick A. Lindemann (plus tard Lord Cherwell), qui lui a permis de construire à Chartwell un centre d’intelligence privé dont les informations étaient souvent supérieures à celles du gouvernement (Nicholas, 2023).

Alors que l’adjectif « doué » a progressivement été moins utilisé pour les adultes, il est devenu typique pour décrire les enfants prodiges, principalement dans la musique. Par exemple : un garçon israélien de 10 ans – fils d’une famille d’immigrants juifs-éthiopiens, a été décrit comme « doué en musique » (2018). Une pianiste de 11 ans du Colorado a été étiquetée comme une pianiste douée et comparée à Mozart (Palmer, 2023). Les échecs sont un autre domaine où les réalisations exceptionnelles des enfants, telles que celles des sœurs Polgar, sont expliquées par leur don : « le père du trio Polgar doué de prodiges féminins des échecs

La culture influence les termes utilisés pour décrire le talent, l’aptitude, la créativité, l’excellence et la douance. Chacun de ces termes peut être utilisé pour décrire différentes caractéristiques parmi différentes religions, zones géographiques et dans différentes langues.

Un exemple intéressant est l’utilisation de « Ga’on », à savoir génie, en hébreu. Dans l’histoire juive, la période entre la fin du 6ème ou le début du 7ème siècle jusqu’au 11ème siècle est appelée l’ère des Ge’onim [pluriel hébreu de Ga’on], nommée d’après les deux présidents des Académies talmudiques babyloniennes de Sura et de Pumbedita, les deux centres de la vie juive pendant le califat abbasside. « Ga’on » est également un nom de famille courant des Juifs séfarades dont les ancêtres ont été déportés d’Espagne à la fin du 15ème siècle. En hébreu contemporain, c’est un adjectif donné aux personnes ayant des inventions, des découvertes ou des idées exceptionnelles, mais dans la communauté ultra-orthodoxe, il est encore utilisé pour décrire les leaders spirituels, ainsi que les enfants qui excellent dans les études religieuses.

Le système israélien de diagnostic de la douance (voir, par exemple, 2014, 2016a) divise les élèves qui « réussissent » les « examens de douance » en élèves « surdoués » et « excellents ». Selon le ministère de l’Éducation, les élèves appartenant au percentile 97-98,5 sont étiquetés comme « surdoués », et ceux dans les 5% supérieurs sont « excellents ». Comme cette division n’a aucune corrélation prouvée avec les tests de QI objectifs, cette division est étroitement liée au contexte socio-économique et à la zone géographique des élèves (Identification des élèves doués et excellents dans les écoles primaires, 2023).

Quelle est votre opinion sur l’importance d’une terminologie précise pour décrire un haut potentiel intellectuel?

Je pense que l’utilisation d’une « terminologie précise » pour décrire les aptitudes exceptionnelles n’est pas une question importante. La terminologie n’a aucune importance. Dans de nombreux cas, elle devient la chose la plus importante, le principal sujet de discussion dans le domaine de la didactique pour les surdoués et la psychologie des aptitudes exceptionnelles. « Le problème de l’enfant surdoué » a commencé lorsque l’éducation obligatoire a commencé, donc s’il y a un accès pour chaque enfant à apprendre autant qu’il veut, à se concentrer sur les sujets qui l’intéressent et à apprendre avec des enfants plus jeunes ou plus âgés tant qu’ils préfèrent tous apprendre au même rythme – il n’est pas nécessaire d’être « précis » sur les définitions

. Les gens ont besoin de définitions pour certaines raisons; toutes ne sont pas bénéfiques pour l’éducation. Les ministères ont besoin de définitions pour justifier leur existence; certains départements, employés, gestionnaires et budgets en ont besoin pour la même raison. Mais lorsqu’il y a un bon système éducatif, lorsque les enseignants sont excellents, lorsque de bonnes installations sont disponibles pour tout le monde, l’importance des termes – plus ou moins « précis » – est minimisée.

En France, dans les milieux intéressés par le sujet des surdoués, on a une vision d’Israël comme étant un pays qui teste tous les enfants et propose des programmes adaptés aux HPI, est ce que c’est toujours le cas ? j’ai cru comprendre que cela n’avait pas que des avantages ?

Les principaux inconvénients du fait que tous les enfants en Israël peuvent être testés pour la précocité intellectuelle sont :

➢ Les enfants qui ne « réussissent » pas l’examen en deuxième année sont étiquetés comme « non-doués »; cela peut nuire à leur confiance en eux, à leur croyance en leurs propres capacités et à leur motivation d’apprentissage.

➢ Les enfants qui réussissent l’examen pensent, dans pas mal des cas, qu’ils n’ont pas besoin de faire d’effort dans l’apprentissage car ils sont « déjà surdoués ».

➢ De nombreux enfants ne sont pas testés en raison de l’opposition de l’école (par exemple, les enfants qui apprennent dans des écoles chrétiennes, les enfants qui apprennent dans des écoles ultra-orthodoxes) ou de l’opposition de leurs parents .

➢ Les enfants issus de milieux socio-économiques élevés ont moins de chances d’être admis dans l’un des programmes pour les enfants surdoués .

➢ En raison de la “discrimination positive” – dans chaque test d’identification de la précocité intellectuelle, 40 % des individus « réussissant » sont des filles – les garçons ont moins de chances d’être acceptés dans un programme pour les enfants surdoués – surtout dans les zones socio-économiques élevées .

➢ Dans la plupart des cas, les enfants identifiés comme surdoués ne se voient offrir qu’un programme d’enrichissement, qui n’est pas stimulant, surtout lorsque les enfants grandissent.

➢ De nombreux enfants se développant sur le tard ne sont acceptés dans aucun programme pour enfants surdoués car le processus d’identification est à l’âge de 7 ans.

➢ Le principal avantage du programme d’enrichissement est de ne pas s’ennuyer, comme dans une classe normale, mais aucune habitude d’apprentissage n’y est développée.

➢ Certains des enfants identifiés comme surdoués deviennent assez arrogants.

Il y a une sorte de « guerre » française entre deux visions de la précocité intellectuelle, l’une plus scientifique et l’autre plus basée sur la pratique clinique. Cela existe-t-il également en Israël ?

Je le souhaiterais… En Israël, il y a un « monopole » sur la précocité intellectuelle ; c’est-à-dire que les seules personnes qui peuvent « décider » si un enfant est doué ou non sont les employés du ministère de l’Éducation. Ces employés, qui étaient dans la plupart des cas des enseignants ordinaires auparavant, sont pour la plupart ignorants de tous les composants émotionnels-sociaux-familiaux qui combinent la « totalité » de l’enfant surdoué. Il existe des psychologues et des conseillers qui traitent les enfants doués ayant des handicaps et des problèmes émotionnels, mais ils n’ont aucune formation dans le domaine de la douance…

Pour compléter cette interview et plonger dans les problématiques générées, selon Hanna David, par les divers programmes gouvernementaux sur les Surdoués depuis 40 ans, et les évolutions sociétales et sociales des surdoués dans la société israélienne, voici la traduction d’un large extrait d’une interview qu’hanna David a donné en 2022 pour le Journal of Gifted Education and Creativity

Hanna David : Au cours des 35 dernières années où j’ai travaillé avec des étudiants surdoués, des changements majeurs ont eu lieu dans tous les domaines pertinents pour la vie de ces enfants et adolescents. Certains de ces changements ont été liés à des changements mondiaux dans les relations entre l’individu et la société, des changements dans la situation politique mondiale, dans la structure familiale, dans la mondialisation de l’économie et son influence sur la relocalisation, dans la participation des femmes à la force de travail en général et dans les postes hautement prestigieux et rémunérés en particulier, et bien d’autres encore. D’autres changements ont eu à voir avec les changements sociaux, économiques, politiques, religieux et démographiques en Israël. Voici quelques-uns des principaux domaines où des changements majeurs ont eu lieu.

Environnement social favorable. Lorsque j’ai commencé à travailler comme tuteur d’étudiants surdoués dans les années 60, l’environnement social envers la douance était très favorable et l’excellence était encouragée. Le titre de « meilleur étudiant » était honorifique. Les étudiants doués n’étaient pas encore étiquetés – les tests de douance publics ont commencé en Israël dans les années 70, et donc plus d’enfants et d’adolescents talentueux n’avaient pas droit à des contextes d’apprentissage spéciaux. Néanmoins, de nombreux enfants à haute capacité ont sauté une classe, voire deux, et d’autres ont trouvé des domaines d’intérêt par eux-mêmes. Un aspect positif de cette situation était que les problèmes sociaux des surdoués n’étaient pas perçus comme une question éducative ou psychologique ; aucune « hypothèse éducative » sur les difficultés qui pourraient être liées à la douance ou en résulter n’était présumée, les surdoués n’étaient pas harcelés ni même insultés, comme cela a été le cas plus tard. En conséquence, une partie substantielle de mon travail consistait en des questions intellectuelles et professionnelles, la plupart des problèmes sociaux étant résolus lorsque l’enfant ou l’adolescent commençait à participer à un cours ou à une filière professionnelle, même lorsque les autres participants étaient plus âgés, et la seule question principale de mon travail était d’aider les surdoués à surmonter leurs sensibilités.

L’exclusion de nombreuses sous-populations était le résultat négatif du fait que les surdoués n’étaient identifiés qu’parmi les enfants d’un statut socio-économique supérieur, les enfants de parents éduqués, pour la plupart nés en Israël ou descendants de pays européens. La plupart des enfants israéliens étaient exclus, parmi eux : les enfants vivant dans la périphérie économique et géographique d’Israël ; les enfants arabes, en particulier les druzes ; les enfants ultra-orthodoxes, en particulier les filles ; les enfants d’immigrants, en particulier ceux provenant de pays arabes, et TOUS les enfants handicapés.

Mon travail dans ce domaine était entièrement éducatif. Dans mes deux rôles – en tant qu’enseignant et professeur de collège – j’ai travaillé à une meilleure compréhension de l’essence de la douance et à aider les enseignants en formation ainsi que les enseignants déjà en poste à comprendre que les enfants doués ont besoin d’un environnement spécifique pour se développer. En enseignant dans un collège périphérique, j’ai été confronté à un défi particulier : convaincre mes étudiants que la douance peut être trouvée partout et que c’était leur tâche de la révéler, d’aider les parents à comprendre que leur enfant avait besoin d’une éducation spéciale, et dans certains cas, de les aider à découvrir leur propre douance.

Les problématiques de genre. Dans les années 60, presque seuls les garçons participaient à la « course vers l’excellence ». Cela incluait les choix que les filles talentueuses faisaient pour leur orientation scolaire, pendant leur service militaire obligatoire et sur le marché du travail. Cette situation a progressivement changé et les aspirations des filles, ainsi que celles de leurs parents, sont maintenant similaires à celles des garçons. Mais dans la « vraie vie », il y a encore de très grandes différences de genre dans la concrétisation de ses talents ; la question de genre préoccupe toutes les filles que je rencontre dans ma clinique. Cela commence dès le plus jeune âge : je me souviens d’une fille de première année qui s’inquiétait d’être « trop grosse »; d’une fille de 16 ans qui était la seule de sa classe surdouée à participer au programme d’accélération le plus prestigieux d’Israël, et de la fille qui était sur le point de s’engager dans la piste de pilotage, considérée comme la plus difficile de l’armée israélienne, surtout pour les filles, car elle ne voulait pas d’un engagement de 10 ans, disant : « C’est trop long pour une fille qui doit penser à fonder une famille ». Alors que pendant les deux dernières décennies du XXe siècle, j’ai dû encourager les filles dans les questions liées à l’école et à l’université, ces portes se sont largement ouvertes depuis. Le principal problème de la fille douée est les connexions sociales, les conventions et les préjugés. Mon rôle clé est de l’aider à avoir une colonne vertébrale suffisamment solide pour suivre son propre cœur.

Le niveau de religiosité a énormément changé au cours des années. Dans les années 60, de nombreux enfants orthodoxes, voire ultra-orthodoxes, qui montraient des aptitudes dans de nombreux domaines, pas seulement dans les matières religieuses, avaient la possibilité de bénéficier d’une bonne éducation. Par exemple, depuis l’âge de 15 ans, j’ai préparé de nombreux garçons d’âge scolaire ultra-orthodoxes, qui avaient une éducation séculaire limitée dans leurs écoles primaires et collèges ultra-orthodoxes, pour les examens d’entrée au lycée. Les parents de ces garçons voulaient qu’ils obtiennent un bon certificat de fin d’études secondaires afin d’avoir accès à l’enseignement supérieur et d’intégrer avec succès la vie professionnelle plus tard. Depuis les années 80, cette tendance a pris un tournant important : les écoles ultra-orthodoxes ont cessé d’enseigner même les mathématiques de base et l’anglais élémentaire vers la 5e année, bloquant ainsi presque la possibilité même pour les élèves doués de combler leurs lacunes éducatives plus tard.

Certaines modifications ont eu lieu au début du 21e siècle, mais elles ont principalement concerné les filles du secteur ultra-orthodoxe. Des filières réservées aux filles ont été ouvertes dans les collèges universitaires, pas seulement dans les écoles normales comme auparavant. Les femmes ultra-orthodoxes instruites ont commencé à occuper des postes dans les institutions de service public, ce qui aurait pu motiver de nombreuses filles plus jeunes de ce secteur. La porte s’est légèrement ouverte pour les filles douées, mais pas autant pour les garçons. Il n’est donc pas étonnant qu’à l’exception d’un cas, l’ouverture d’une classe pour les surdoués dans le secteur ultra-orthodoxe , où j’étais chargé de la sélection des garçons pour cette classe, au cours des 20 dernières années, je n’ai rencontré qu’une famille pour une séance de conseil.

Les domaines d’intérêt ont considérablement changé chez les surdoués au cours des 50 dernières années. Jusqu’aux années 80, il y avait quelques professions « classiques » dans lesquelles les enfants et les adolescents doués manifestaient un profond intérêt. Alors que la plupart des garçons voulaient en savoir plus, devenir professionnels ou pratiquer dans des domaines principalement liés à la science, à la médecine, aux mathématiques et à l’ingénierie, les filles douées montraient un intérêt, dans de nombreux cas, pour les sciences sociales, en particulier la psychologie et la sociologie, ainsi que pour les sciences humaines et les langues.Mais il y avait aussi un certain nombre de filles qui voulaient « réussir » dans des domaines perçus comme masculins, et vice versa. Certains des surdoués des deux sexes voulaient devenir avocats; beaucoup a ensuite admis que l’étude du droit était très ennuyeuse et pas créative, mais presque tout le monde qui avait été admis à une faculté de droit avait réussi à obtenir son diplôme avec succès ; beaucoup étaient devenus de grands avocats et des juges remarquables.

Depuis les années 90, l’étude de l’informatique est devenue très populaire, et sa popularité n’a cessé d’augmenter depuis. De nombreux enfants surdoués des deux sexes ont également été intéressés par les sciences du cerveau, mais pas seulement dans leur aspect scientifique- leur aspiration est aussi de « gagner de l’argent avec ça ». Au cours de la dernière décennie, il y a eu une tendance croissante – plus fréquente chez les filles, mais pas exclusivement – à « réussir » dans les médias sociaux.

Certains, les plus artistiques, présentent leur travail, comme des chansons, des mélodies, des vidéos fun ou autres, afin d’obtenir de plus en plus de vues, de likes et de recommandations ; d’autres apprennent « à être là » lors des événements des réseaux sociaux, à publier autant que possible, à éditer des textes écrits, des vidéos et des photos, etc., des activités qu’ils trouvent plus gratifiantes que le travail ardu même s’ils sont parfaitement capables de le faire très bien. Les parents de ces enfants et adultes, qui se plaignent souvent que l’adolescent « veut renoncer à son don pour rien », constituent un pourcentage très élevé de ceux qui me consultent. Dans de nombreux cas, lorsqu’ils le font, il est déjà trop tard car l’enfant ou l’adolescent tire beaucoup plus de satisfaction personnelle et sociale du web qu’il n’aurait pu en recevoir en étant un « élève exemplaire ».

La question de l’expatriation est devenue progressivement l’un des principaux sujets de préoccupation chez presque tous les adolescents que j’ai récemment rencontrés. Il y a 40 ou même 30 ans, il était clair pour presque tous les surdoués que j’ai rencontrés, ainsi que pour leurs familles, qu’ils n’envisageaient même pas l’option de l’immigration. En effet, partir en post-doc était populaire, une étape nécessaire pour obtenir un poste en Israël à leur retour, après deux ans. Depuis environ le début du 21e siècle, les adolescents et les jeunes adultes doués ne voient pas nécessairement leur avenir en Israël. Cela a commencé avec les Israéliens de la Silicon Valley dans la dernière décennie du 20e siècle et se poursuit jusqu’à présent. En outre, de nombreux jeunes titulaires d’un doctorat, qui ont déménagé avec leur famille aux États-Unis pour un poste de post-doc, ne sont pas revenus en Israël en raison du manque de postes académiques, de l’instabilité politique, du mécontentement à l’égard du système socio-économique et des dépenses de vie extrêmement élevées en Israël par rapport aux salaires. De plus, le système éducatif public en Israël n’est pas satisfaisant pour les surdoués, tandis que l’éducation privée pour les surdoués n’existe pas. Ces deux phénomènes ont influencé mon travail avec de nombreuses personnes et familles. D’un côté, lorsque je conseille une famille avec un adolescent sur le point d’obtenir une place à l’université tout en étant encore au lycée ou un jeune adulte sur le point d’obtenir son diplôme, je discute avec eux de leur avenir et les prépare souvent à la possibilité de partir en Europe ou aux États-Unis pour un doctorat plutôt que d’attendre et de planifier le départ pour le post-doc. Quant aux Israéliens qui souhaitent retourner en Israël, jusqu’à la pandémie de Covid-19, ils me rencontraient pendant les vacances d’été pour en savoir plus sur les opportunités académiques pour les enfants doués une fois de retour.

➢ D’autre part, les parents sont de plus en plus impliqués dans le processus d’identification de la douance, et la préparation des « tests de douance » est devenue un business qui implique une énorme somme d’argent. Cependant, il y a eu une diminution du désir des parents de pousser leurs enfants vers l’excellence, ce qui était beaucoup plus courant dans les années 70, 80 et même dans une certaine mesure au cours des années 90. Il semble que l’objectif principal de nombreux parents soit de plus en plus axé sur l’étiquette de « surdoué » de leurs enfants, plutôt que de leur fournir une bonne éducation adaptée qui répondra à la fois à leurs besoins académiques et émotionnels.

Conseiller de telles familles est parfois assez frustrant, car je fais de mon mieux pour persuader les parents que la connaissance est importante en soi, que l’excellence en littérature n’est pas moins importante que de devenir conseiller en investissement, et même si leur fille peut être acceptée dans une faculté de médecine, ils devraient l’écouter lorsqu’elle dit qu’elle veut être écrivaine. Inutile de dire que je ne suis pas toujour écoutée, et de nombreux jeunes doués se décident encore pour la « profession la mieux rémunérée » plutôt que pour celle que leur cœur désire.

References

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